Chez Blaise Duboux, l’expérience Calamin

Début novembre, un petit groupe de privilégiés a eu la chance de participer à une verticale dirigée par le  vigneron d’Epesses. Récit d’une soirée mémorable.

Rien que le coup d’œil mérite le détour. Depuis la cave de Blaise Duboux, à Epesses, on embrasse un merveilleux panorama, avec des vignes orangées qui ondulent entre ciel et Léman. En ce jeudi de début novembre, à l’heure du coucher de soleil, on touchait au sublime. Les prémisses de la dégustation qui allait suivre – mais ça on ne le savait pas encore.

Avec moi, une petite escouade de passionnés désireux de s’initier aux mystères des vieux chasselas – un adjectif qui, quand on parle du roi des cépages de Lavaux, prend une connotation positive. Blaise avait décidé de nous proposer un focus sur l’appellation Calamin Grand Cru, 16 hectares nichés entre lac et montagne. Depuis la terrasse de sa cave, on aperçoit d’ailleurs la petite falaise qui surplombe le village, vestige d’un glissement de terrain survenu au Moyen Âge.

Casquette vissée sur la tête, Blaise parle de l’événement comme s’il l’avait vécu, avec un enthousiasme renouvelé: « Sous l’effet de la pente, le terrain s’est mis en mouvement, roulant sur lui-même jusqu’en contrebas du village. L’alternance des couches géologiques, encore visible aujourd’hui dans la falaise, a donné un nouveau sol riche en calcaire et en argile ».

Sur ce terroir particulier, le chasselas est roi (97% de l’encépagement). Il exprime un caractère particulier, avec des amers nobles qui lui donnent une personnalité marquée. Blaise fait partie des 21 propriétaires de vigne dans l’appellation avec un vin baptisé Cuvée Vincent. Dans le millésime 2016, servi pour nous étalonner, le Calamin s’offre dans un profil primesautier, avec un nez floral très pur et une note d’ananas. La bouche est concentrée, fraîche, avec une belle finale saline. La longueur est moyenne, comme souvent avec les chasselas qui ne sont pas encore secs derrière les oreilles.

Le deuxième vin, dégusté chemisé, présentait un profil complètement différent, avec une robe finement dorée, indice d’une certaine maturité. Au 1er nez, son âge semblait même avancé. Après quelques minutes d’aération, les notes oxydatives (noix, curry) ont peu à peu laissé la place au coing, au réglisse, à la brioche et même l’abricot. Un festival aromatique qui s’est poursuivi en bouche, avec la fameuse texture caressante des chasselas expérimentés. Un très joli vin que beaucoup imaginaient du millésime 2010 ou 2011. On déshabille la bouteille: tabernacle, 2000! 17 ans de bouteille. « J’aurais peut-être dû servir un 2e vin plus jeune, avec le 2016 ça fait un sacré saut », s’excusait Blaise en s’éclipsant pour aller chercher la suite.

Le troisième vin présentait une robe beaucoup plus claire, presque juvénile. Le nez était plus austère, sur les agrumes et une note beurrée. La bouche plus serrée, avec beaucoup de fraîcheur, sur les fruits du verger avec une note végétale. « Clairement un vin plus jeune que le précédent », estimait-on dans l’assistance la bouche en coeur, pensant que Blaise avait sauté un vin par erreur. Que nenni: sous la chemise, un millésime 1999. « C’était un millésime compliqué, avec une maturité des baies moins bonne qu’en 2000, précise le vigneron. C’est ce qui explique ce décalage. C’est toujours le cas, cela n’a aucun lien avec le bouchon. »

Avec le quatrième vin, on changeait à nouveau de registre, avec un nez d’une exceptionnelle complexité, sur les fruits confits, la brioche, le miel de fleur et une note mentholée. En bouche, une texture magnifique équilibrée par une incroyable verticalité et des amers sublimes qui portent le vin dans une finale interminable. Un vin plus équilibré et plus jeune que le 2000… mais pas forcément plus jeune – on ne se fera pas avoir à tous les coups. Un 1995? Non, mais pas loin. 1990? Bingo. Un monument. Un TGV comme le dirait mon ami sommelier Jérôme Aké: un Très Grand Vin!

Le cinquième vin était beaucoup moins flatteur au nez, marqué par des arômes d’hydrocarbures. « Comme un vieux riesling », estimait un amoureux de l’Alsace. Ce profil ne l’a pas quitté, ou très peu, le rendant plus austère. Un 1986, cette fois, soit plus de trente ans de bouteille. La bouche était plus aboutie, très ample, avec là aussi de jolis amers.

Le sixième vin était dans le même profil que le no.4, plus expressif encore, avec des notes de cire d’abeille et de curry. La bouche était elle aussi très riche et dense, avec malgré tout un équilibre miraculeux. Un nouveau TGV qui serait idéal pour accompagner une terrine de foie gras assaisonnée de manière pas trop ostentatoire. Sous la chemise, au saut de 10 ans:  1976. La quarantaine, comme la majorité des dégustateurs présents. Applaudissements dans la salle.

L’ultime flacon présentait un profil plus juvénile, si l’on peut dire. Il se distinguait des précédents par une vivacité plus marquée et une complexité plus mesurée. Mais là aussi un très beau chasselas, sans doute issu d’un millésime plus difficile. Un millésime 1965, soit l’année de naissance de Blaise et d’un des dégustateurs… qui n’a pas refusé la proposition de reprendre le flacon avec lui. Une grande dégustation, donc, avant de filer à l’Auberge de l’Onde, à St-Saphorin, pour d’autres aventures gourmandes. Mais c’est une autre histoire.

L’ami Blaise, un passionné avec un « P » majuscule

Blaise Duboux, Epesses

Blaise Duboux est un passionné avec un «P» majuscule. A la tête d’un domaine de 4,8 hectares, le vigneron au crâne rasé est intarissable. Qu’il s’agisse des poudingues du Mont-Pèlerin, typiques du Dézaley, ou du sol argilo-calcaire de l’appellation Calamin, il s’enflamme, argumente, toujours soucieux d’être bien compris.

Représentant de la dix-septième génération de la famille à travailler la vigne, il nourrit une affection particulière pour le chasselas. Le cépage roi de Lavaux représente 75% de l’encépagement du domaine. Il est décliné en six vins aux caractères biens typés dont le Dézaley Haut de Pierre. Le millésime 2010 a séduit David Schildknecht, l’un des dégustateurs de Robert Parker. Dans son «best of 2012», le célèbre critique écrit: «Je n’aurai pas de repos avant d’avoir trouvé un importateur (pour ce vin) aux Etats-Unis.» Autre fleuron du domaine: le Calamin Cuvée Vincent, membre émérite de la Mémoire des vins suisses.

Depuis qu’il a repris le domaine des mains de son père Vincent, en 1994, Blaise Duboux s’est appliqué à respecter et à valoriser ses terroirs. Converti à la production intégrée, il n’utilise plus aucun engrais depuis plus de 20 ans. Depuis une dizaine d’année, il applique certains principes de la biodynamie. «Je ne retiens que ce qui m’intéresse, souligne-t-il. Je ne veux pas faire toujours la même chose, ni qu’on me colle un label.»